Je parie que non. Parce qu’en ce qui me concerne, avant de découvrir cet étrange bâtiment qui trône sur les bords de la Vltava, je n’en avais jamais vu non plus… Et honnêtement, quand j’ai rencontré pour la première fois « Ginger et Fred », j’ai été perplexe, puis subjuguée, par ce bâtiment si bizarre mais si bien intégré dans l’architecture et le paysage… Je l’ai tellement aimé que je l’ai même brodé ! Je vous propose de vous en parler un peu plus, mais rien ne vaudra en rencontre en « chair et en os » avec cet surprenant symbole de liberté. Et si vous faites le déplacement, vous pourrez dire que… « …maintenant, oui ! »
Un peu d’histoire…
Au début des années 90, après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, on rêve d’une architecture de qualité, moins rectiligne, moins sévère, moins austère. Le tout nouveau président du pays libre, Vaclav Havel, rêvait d’un bâtiment moderne à cet emplacement, proche duquel il avait grandi, et où se trouvait auparavant un immeuble néo-classique qui avait été démoli le 14 février 1945 par les bombardements américains. Il demande à trois architectes de lui faire des propositions pour un bâtiment qui puisse évoquer la liberté retrouvée du pays et la Révolution de Velours. C’est le projet de son ami Vlado Milunic qui est retenu.
À l’origine, l’édifice devait être un centre culturel et social, comprenant notamment une galerie d’art et une librairie. Finalement, la parcelle de terrain est rachetée par un groupe de banque et assurances, qui décide d’y construire un immeuble de bureau. Elle y installe sa nouvelle succursale dans le monde post-soviétique. Cette société exige de Milunic qu’il travaille en lien avec un autre architecte de renommée internationale. C’est l’Amerciano-Canadien Frank Gehry qui est choisi pour être son binôme dans cet projet au budget illimité. Injustice de l’Histoire, c’est lui qui restera à la postérité comme le créateur de cette étrange maison qui danse.
Une référence à la liberté
Très vite après sa construction, l’édifice est surnommé « Ginger et Fred », en référence bien entendu aux célébrissimes danseurs de Broadway Ginger Rogers et Fred Astaire. Mais peu à peu, cette appellation disparaît au profit, simplement, de « la maison qui danse ». Une belle allusion aux « lendemains qui dansent » promis par la Révolution de Velours , qui ont remplacé les fameux « lendemains qui chantent » vantés par l’URSS.
Pendant 20 ans, la Maison qui danse a uniquement été un immeuble de bureaux. Mais depuis 2016, elle accueille également un hôtel, ainsi qu’un restaurant gastronomique (français, cocorico!) dont la terrasse panoramique en rooftop offre une vue imprenable sur la ville.
Et en termes d’architecture… ?
Si l’on regarde la Maison qui danse, on observe les deux corps de bâtiment, unis dans une sorte de chorégraphie : Ginger et Fred sont soudés mais différents, dans des mouvements presque opposés. Là ou la tour « Fred » se tient, droite, sur le quai, comme un symbole de force, celle de Ginger, qui se trouve à l’angle de la rue Resslova, semble plus souple, plus aérienne. C’est sans doute un peu caricatural pour notre époque, je vous le concède ! Mais c’est ainsi que ces deux tours ont été conçues dans les années 1990.
D’ailleurs, deux tours, c’est aussi quelque chose de nouveau à Prague : de très nombreux bâtiments comportent une tour d’angle, mais aucun n’en a deux d’un coup ! Il semble, pour contrebalancer ce que j’écrivais il y a deux phrases, que Gehry a estimé qu’une unique tour d’angle paraîtrait trop masculine. Il a donc préféré faire le choix de deux tours, pour mettre sur un pied d’égalité la masculinité et la féminité. Très moderne, une fois encore !
Beaucoup de bruit… pour rien.
La Maison qui danse a beaucoup été remise en cause lors de sa construction et dans les années qui ont suivi, du fait de son originalité, voire de son incongruité dans le paysage de Prague. En effet, tant de modernité dans le centre-ville peut surprendre, voire choquer : a-t-on vraiment respecté le patrimoine existant en bâtissant un tel édifice sur les quais, dont les façades sont si lisses ?
Un immeuble du style déconstructiviste a en effet de quoi surprendre à cet endroit, d’autant plus qu’il est particulièrement original. Mais les Milunic et Gehry ont eu à cœur d’inclure un grand nombre de références architecturales au reste de la ville à leur ouvrage : le baroque dans le mouvement, l’Art Nouveau dans les courbes, le cubisme dans la géométrie… Des éléments qui n’ont pas suffi à convaincre un certain nombre de critiques, qui ont estimé que cet immeuble était une verrue dans le paysage praguois. Néanmoins, la Maison qui danse a été élue « Meilleur design de l’année » par le magazine Time en 1996, année de son inauguration.
Aujourd’hui encore, la Maison qui danse ne laisse personne indifférent. Mais elle a cessé d’être perçue comme une hérésie architecturale. La plupart des Praguois s’y sont habitués, et les touristes s’y pressent pour s’y prendre en photo. Comme quoi, tout est une question d’habitude : la Tour Eiffel non plus, n’a pas eu un succès fou au début… !